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Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme

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Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme
Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme

Omero, quel est votre parcours?

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme. OmeroJe suis un être humain âgé de 46 ans, arrivé à la vie sur la terre des Ch’tis après l’émigration de mes parents de la Sardaigne vers les mines du Nord, dans lesquelles mon papa fera toute sa carrière.

Dernier de sept enfants, j’ai fait un petit bout de chemin qui m’a conduit, quinze ans après avoir obtenu le baccalauréat en 1987, à soutenir ma thèse de doctorat en sociologie à l’université de Lille I, sous le titre « L’islam au pluriel« . Etude du rapport au religieux chez les jeunes musulmans dans le Nord. A défaut de pouvoir guérir la société, le docteur en sociologie, spécialisé dans l’islam en contexte sécularisé, essaie de mesurer le pouls et le souffle d’une partie du corps social avec son stéthoscope sociologique…

Je suis donc sociologue de l’ethnicité et de l’islam.

Quel est, justement, votre rapport personnel à l’islam ?

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme IslamNombre de chercheurs entretiennent un lien particulier avec leur objet de recherche et je n’échappe pas à la règle ; je me suis converti à l’islam peu avant mes dix-huit ans et, depuis, j’ai pas mal bourlingué dans la plupart des sphères et des sensibilités musulmanes en France. Je suis donc partie prenante de mon objet de recherche, et je n’hésite pas à « mettre les mains dans le cambouis » sur des sujets parfois assez polémiques, en endossant le rôle de « l’empêcheur de tourner en rond », si je puis utiliser cette expression ; j’ai connu quelques tensions avec certains de mes coreligionnaires, ces dernières années quand j’ai abordé, entre autres articles, la liberté de conscience absolue, une approche inclusive de l’homosexualité, ou encore l’option du végétarisme consenti. Mais le jeu en vaut la chandelle, pour reprendre l’adage bien connu, et les lignes bougent au sein des communautés musulmanes sur pas mal de questions de société.

Pourquoi et quand vous êtes-vous intéressé au végétarisme ?

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme DécouverteJe dois d’abord indiquer que je suis encore un simple novice en la matière ; depuis plusieurs années, je tends vers une alimentation végétarienne, mais je n’ai pas passé le cap de supprimer totalement de mon alimentation toutes les protéines animales. Cela est dû en grande partie à mon mode de vie et à mes réseaux relationnels ; je me suis aperçu que les végétariens étaient très vite assimilés, par pas mal d’« omnivores », à des membres de mouvements situés à la périphérie de la normalité, pour ne pas dire des sectes, à des personnes intransigeantes, presque des mutants !

A l’inverse, mon attitude suscite la curiosité de pas mal d’amis, musulmans et non musulmans, qui me connaissent pour avoir, généralement, des options de vie et des choix assez raisonnés. Il faut dire que, il y a encore une dizaine d’années, j’étais un fan de viande et j’organisais plusieurs fois par an des sacrés barbecues réunissant plein d’amis. Militant associatif musulman très engagé auprès de mes coreligionnaires et dans l’interconvictionnel, beaucoup de nos activités associatives étaient également ponctuées de repas largement composés à base de viande. Il a fallu quelques petits problèmes santé – un peu de surpoids, la gestion de reflux gastriques, entre autres – et un autre regard sur l’animal pour faire évoluer nos pratiques, au sein de ma petite family. Au départ, on se dit qu’il faudrait diminuer la viande et on commence à grappiller des informations sur le net au sujet du végétarisme, mais sans plus.

Comment ça se passe en famille ?

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme En familleJe suis marié et j’ai quatre enfants ; nous avons essayé, mon épouse et moi, de les éduquer dans une stricte égalité et avec des valeurs fortes, sans nous orienter vers un contrôle strict de leur pratique religieuse. Côté alimentation, comme cette orientation végétarienne a été impulsée conjointement avec mon épouse, les enfants ont suivi le mouvement, sauf une de mes filles qui raffole de viande. Au début il a fallu expliquer la démarche, mais par la suite les enfants ont eux-mêmes pu évaluer la qualité de l’alimentation orientée végétarien. Je pense personnellement qu’il revient aux parents de transmettre des valeurs qui amèneront leurs enfants à devenir des adultes responsables, capables de déterminer leurs choix de vie, et surtout capables de les assumer ! Cela conduit à une ouverture sur le monde et à beaucoup d’empathie, et je suis plutôt satisfait d’observer les parcours de chaque enfant vers sa prise d’autonomie progressive, en espérant entre autres qu’ils auront un régime alimentaire sain !

Il faut souligner le contexte de vie très particulier à la maison, puisque mon épouse et moi sommes engagés dans le terrain associatif – musulman mais également plus large – depuis le début de notre vie de couple ; la vie familiale en est impactée par les absences, surtout les miennes !, mais également par les mille-et-une discussions contradictoires que nous avons sur pleins de sujets de société. Je pense que cela contribue fortement à faire croître l’esprit critique chez les enfants, mais également leur propre engagement ultérieur.

Vous parlez « d’un autre regard sur l’animal », c’est-à-dire ?

Pour le musulman que je suis, il y a eu un autre déclic, celui de l‘abattage des animaux au moment de la grande fête du sacrifice, qui a lieu chaque année durant la période correspondant au pèlerinage à la Mecque. J’ai eu l’occasion d’effectuer moi-même le sacrifice d’animaux – généralement un ovin, mais également pas mal de volailles, je garde d’ailleurs à la main droite la trace d’une griffe d’oie qui m’a entaillé la peau alors que je la tenais fermement pendant qu’un ami l’égorgeait – mais je n’ai jamais vraiment été friand de l’acte.

Avant de changer d’alimentation, avec des amis, nous avions l’habitude de nous cotiser pour sacrifier, symboliquement, une bête, et envoyer l’argent correspond à l’achat de quatre ou cinq animaux à des associations caritatives musulmanes. C’était une façon d’allier la tradition et le soulagement de la misère, puisque théoriquement une partie du sacrifice doit revenir aux indigents, ce qui est très rarement le cas en contexte français par exemple.

Vous-êtes vous remis en cause?

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme Un autre regardOui, progressivement, j’ai commencé à remettre en cause les modalités puis l’utilité même du sacrifice de centaines de milliers de bêtes dans le contexte contemporain. Je me suis dit qu’on pouvait respecter la tradition sans forcément passer par l’acte lui-même, totalement déconnecté d’ailleurs de son contexte originel. Le troisième déclic est venu de la médiatisation des affaires liées aux conditions d’élevage des animaux, aux farines animales et à toute la panoplie d’antibiotiques avec lesquelles on bourre les animaux destinés à l’abattage depuis leur naissance.

Parallèlement, les affaires de fraude à l’abattage « halal » se sont multipliées, si bien qu’on en est venu à se demander, mon épouse et moi, s’il ne fallait pas modifier radicalement notre rapport à l’alimentation. Déjà, lorsque j’habitais dans l’ancien bassin minier valenciennois, je m’organisais avec un groupe d’une dizaine d’amis pour aller chercher la volaille, les ovins et surtout les veaux directement chez les éleveurs du sud du département du Nord. Le veau était ensuite amené à l’abattoir de Valenciennes – traçabilité oblige – pour être abattu par un sacrificateur musulman et on se le répartissait ensuite. C’était une façon d’être sûr de la qualité de la viande qu’on consommait, mais progressivement j’ai cessé de participer à cette démarche car je ne voulais plus stocker des dizaines de kilos de viande.

Quand et comment avez-vous réduit la nourriture carnée ?

C’est avec le déménagement à Nantes – ville où je réside depuis 2008 – que nous avons opté, mon épouse et moi, pour une approche plus radicale dans notre rapport à l’alimentation ; plus de sucreries à la maison – sauf quelques une pour les invités -, consommation anecdotique de viande rouge – quasiment inexistante pour moi – hebdomadaire pour la viande blanche – en se fournissant auprès d’un seul boucher garantissant la provenance et la qualité de la viande – et bannissement total de toute boisson gazeuse à la maison.

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme Fruits et légumesC’est parallèlement à ce choix de vie que nous avons commencé à expérimenter pleins de petits trucs dont nous avions entendu parler, notamment par des amis très centrés sur le bio et sur les graines germées ; faire germer des lentilles et des fèves, c’est un truc super sympa en fait ! Ces dernières années, je suis reparti plus profondément dans mes références musulmanes, à savoir le texte coranique et les traditions prophétiques – ensemble des dires et attitudes du Prophète Muhammad – et j’ai pris un temps pour tenter, à partir du contexte de vie de la société Arabe du 7e siècle, de m’imprégner de l’approche coranique de l’animal, de l’homme, et du mode d’alimentation du Prophète.

Qu’avez-vous découvert?

J’ai exploré deux pistes ; la première concerne ce que j’appelle la « personne animale », qui oriente la façon dont le Coran expose l’équité entre les êtres dans l’accès aux ressources de la planète, et la seconde concerne le rapport de prédation mesuré que l’homme doit avoir vis-à-vis des animaux en général, en partant du principe que, finalement, on devrait manger de la viande par défaut – la nécessité de survie – et non pas par habitude et avec plaisir. Depuis, je tente de provoquer le débat chez les musulmans sur la nécessité de revoir notre rapport au monde, dans un contexte historique particulier ; pour la première fois dans l’histoire des hommes, nous sommes malades du trop de bouffe et de la malbouffe.

La personnalité animale.

C’est en étant tout simplement à l’écoute de leur cœur, qu’une majorité de végétariens* le sont devenus. Et vous?

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme Fruits La personnalité animaleAu fur et à mesure que mes questions augmentaient sur le sujet du statut de l’animal et du rapport que l’homme devrait entretenir avec lui, j’ai commencé à me réapproprier les éléments de mes références scripturaires musulmanes. J’ai acquis la conviction que notre rapport de prédation aux animaux, toutes espèces confondues, mais plus particulièrement à ceux entrant dans le champ de la « consommation possible », devait être lu à la lumière d’un mode de vie dans lequel l’apport en protéines animales soit réduit et limité aux herbivores, c’est en tout cas une conclusion très claire que l’on peut tirer des indications du Coran et de la tradition prophétique musulmane. C’est une lecture théologique spécifique, sur laquelle j’ai beaucoup échangé avec mon ami théologien Tareq Oubrou, recteur de la grande mosquée de Bordeaux, qui a su mettre des mots sur le sentiment que je nourrissais.

Comment avez-vous réagi?

J’ai pris le temps de laisser émerger en moi un questionnement théologique profond, relatif à la « personnalité animale ». En effet, à partir du moment où j’ai pris conscience que mes références scripturaires indiquent que les animaux sont dotés d’une âme, qu’ils vivent en communauté comme les êtres humains, qu’ils sont capables de communiquer, de manifester leurs Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme Les animaux ont une personnalitésentiments, qu’ils ressentent la douleur, qu’ils seront ressuscités et questionnés le jour du jugement, je ne pouvais plus regarder l’animal comme de simples biens de consommation voués au pur plaisir de le bouche et du ventre de l’être humain. C’est ce qui a amené cette écoute du cœur, avec un véritable travail introspectif et l’intime conviction que notre relation à la personnalité animale a complètement dévié de l’orientation spirituelle fondamentale tendant à un mode de vie et de consommation qui soit le plus simple et le plus dépouillé.

Je sens parfois le regard étonné de coreligionnaires qui me prennent pour un énième hurluberlu issu des classes moyennes musulmanes en voie de « boboïsation », mais je me suis aperçu progressivement que plein de musulmans, autour de moi, vivaient les mêmes questionnements, et certains étaient déjà engagés sur la route d’une alimentation quasi-végétarienne. Aujourd’hui, je peux dire que mon regard sur l’animal a complètement changé et je m’intéresse, en toute modestie, aux reportages qui restituent pour le grand public les avancées de la recherche scientifique en matière de comportement animal, et cela me conforte dans l’idée que celui-ci est doté d’une véritable conscience et sensibilité.

*(végétariens, végétaliens, vegans)

L’engagement du végétarisme.

Dans un article du monde des religions, vous insistez sur « la nécessité pour l’être humain d’observer le monde environnant et de vivre en harmonie avec lui. D’un point de vue moral, il est alors absolument condamnable de porter atteinte à un animal gratuitement ». Est-ce que cela signifie que vous êtes définitivement sur le chemin du végétar(l)isme ?

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme L'engagementJe me considère pleinement sur le chemin du végétarisme, avec la volonté de supprimer de mon alimentation la viande, puis le poisson, de manière graduelle, mais je ne sais absolument pas si je serai en mesure d’aboutir à cette orientation, voire si je pourrai aller plus loin. Dans mon alimentation quotidienne, chez moi, j’ai de facto supprimé la consommation de viande rouge ; mon épouse en cuisine occasionnellement pour elle-même et pour les enfants, mais de manière que je peux qualifier de quasiment anecdotique. Nous laissons cependant toute latitude à nos enfants de gérer leur propre rapport à la nourriture carnée dans leur vie personnelle, ce qui est l’objet d’un débat à la maison, chacun ayant son point de vue sur la question. Nous consommons très peu de viande blanche ; c’est du type un poulet fermier pour 5 personnes pour une semaine, parfois plus. Nous consommons également du poisson, une à deux fois par semaine, en achetant le plus souvent du poisson issu de la filière courte, ou en tout cas issu de la pêche et non de l’élevage. Pour le reste, nous consommons les produits dérivés des animaux : œufs, beurre, fromage, produits dérivés du lait, en quantités modestes.

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme Conférence

Quel est votre objectif personnel?

Mon objectif est de remplacer progressivement ces produits dérivés par des protéines végétales – d’où la germination des lentilles et des fèves, un vrai régal – en essayant de consommer du poisson de manière anecdotique.

Mon principal frein, en fait, réside dans mon mode de vie ; je suis constamment sur la route, du fait de mon activité professionnelle assez intense, et je déploie une énergie importante à expliquer les exigences de mon alimentation, ce qui est souvent source de tension. Lors de chaque déplacement où je dois me restaurer à l’extérieur – c’est-à-dire chaque semaine, de un à plusieurs jours – je dois faire à chaque fois le checking des demandes : plats sans viande, sans sauces, sans sucres ajoutés, etc. Si je suis avec des amis ou des collègues, il faut trouver un lieu de restauration qui prenne réellement en compte les végétariens, on tombe très vite dans une espèce de « justification » du pourquoi et du comment. Il faut ajouter à cela l’environnement familial et les amis, entre une famille non musulmane habituée à acheter de la viande halal, lorsqu’elle me reçoit, et qui doit maintenant composer avec du « sans-viande » et des amis dont certains sont réellement déboussolés à l’idée de faire un repas sans viande. Parfois, je n’ai pas vraiment la force de ramer à contre-courant et je ne dis rien, quitte à ne manger presque rien, ou alors à faire quelques concessions par rapport à cette orientation.

Mais depuis quelques temps, je ne plus avaler de viande rouge ; lorsque j’en prends juste une bouchée, j’ai une sorte de dégoût qui me viens.

Connaissez-vous l’association végétarienne Islamic Concern

Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme islamic concernJe n’ai pas de lien direct avec les associations musulmanes végétariennes, j’ai cheminé dans mon petit coin et, en qualité de conférencier musulman engagé dans le dialogue interconvictionnel, j’ai été abordé sur cette question par différents médias depuis que j’ai publié en 2013 mon article sur le site Saphirnews, intitulé « Le halal, c’est être bio et végétarien !? » Suite à cet article, j’ai été contacté par des médias musulmans et non musulmans, qui m’ont demandé d’expliciter ma position car elle semblait s’insérer dans un courant émergent depuis plusieurs années chez les musulmans, surtout dans le monde anglophone.

Certaines associations musulmanes axées sur le bio et sur les filières courtes, dans une approche éthique de l’élevage et de l’abattage des animaux, m’ont également contacté pour participer à des événements de sensibilisation du consommateur. C’est aussi dans ce cadre que j’ai été en contact avec Les1001vies ! Je dois tout de même souligner que c’est l’association Droits des animaux qui a boosté ma réflexion sur la question. Son promoteur a bien voulu mettre à ma disposition la traduction française de l’ouvrage du théologien musulman Al-Hafiz B. A. Masri, intitulé Animals in Islam, qui m’a conforté dans mon orientation et qui m’a ouvert pleins d’horizons sur la personnalité animale et le droits des animaux dans une perspective musulmane. J’ai synthétisé mon approche dans un article récent intitulé « Chasse, élevage et végétarisme en islam ; des paradigmes en concurrence ». Mon souhait serait de créer une dynamique francophone pour l’éducation à la consommation avec une dimension prospective, et j’ai bon espoir que des sites et des initiatives émergent au fur et à mesure. Si je peux modestement y contribuer j’en serai vraiment fier.

Après avoir lu notre article : Omero Marongiu Perria, islam et végétarisme, nous vous invitons à découvrir notre rubrique consacrée au végétarisme.

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Par les1001vies

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